"L'ART NE SAUVE PAS LE MONDE" Gyslain.N raconte son expérience en atelier et concert à la Maison d'Arrêt de Corbas.
L’action culturelle est au coeur de l’activité de Mediatone même s’il est malheureusement très rare que nous vous en parlions. Les ateliers et concerts en milieu fermé sont des moments forts, vécus intensément par les intervenant·es, les bénéficiaires et les facilitateur·ices et il s’y passe parfois des choses très belles.
Du 14 au 18 novembre 2022, Gyslain.N a animé des ateliers d’écriture au sein de la Maison d’Arrêt Lyon Corbas suivi d’un concert le 30 novembre au gymnase, il nous raconte ce qu’il y a vécu avec émotion et la plume qui le caractérise.
Merci à lui pour ce précieux témoignage qui atteste de l’importance de l’action culturelle en milieu fermé.
L’art ne sauve pas le monde, il ne le fera probablement jamais, mais si être en vie peut être autre chose qu’un coeur qui bat, une respiration régulière, alors l’art nous permet de nous sentir vivants.
Fabriquer des moments intensément vivants, c’est cette idée qui me motive à aller mener des projets artistiques là ou la vie est contrainte, là où elle est empêchée, pour une raison ou pour une autre.
C’est pour cela que je réponds souvent présent, lorsque Mediatone me propose d’aller animer des ateliers Slam et écriture en prison, et de les clôturer par une représentation ou un concert.
Les mots ont une force poétique lorsqu’ils racontent le réel, sans le travestir, mais en lui donnant une esthétique singulière. La parole a un pouvoir libérateur parce qu’elle nous connecte directement à notre imaginaire et le rend accessible aux autres. C’est pourquoi écrire et dire, sont mes outils de création favoris. Je suis Slameur, auteur, scandeur et susurreur de mots.
C’est ce bagage que j’ai posé pendant une semaine à la maison d’arrêt de Corbas, au sein du bâtiment des détenues femmes.
Nous nous sommes rencontrés, nous avons fait connaissance, j’ai partagé mon amour pour l’art des écrits : poésie, chanson, fiction, et pour la mise en parole de ceux-ci : slam, performance, mise en scène de soi et de son propos.. J’ai fait la connaissance de I, D, C, et bien d’autres, nous avons créé un espace propice à exprimer le sensible, un rapport de confiance éphémère mais vrai.
C’est alors que les plumes se sont mise à nu, et je me souviens de ces phrases fortes dans leurs textes :
« Dans ma fabrique à rêves, il y a ces enfants, les miens »
« Viens, je vais te parler de mon île, l’intensité de sa beauté va te rendre immobile »
« Et maman me dit, donnes-toi plus que toi, donnes-toi plus que toi.. »
Nous avons ri, parfois nous avons été au bord des larmes, souvent nous nous sommes surpris, et nous nous sommes, tout le temps, sentis farouchement vivants. À la fin de la semaine, nous regrettions de devoir nous quitter, nous nous promettions de garder nos moments précieux en souvenir, et de nous revoir pour le concert.
Et le jour du concert est arrivé. L’équipe de Mediatone s’était affairée depuis le matin pour improviser une salle de spectacle dans un gymnase immense. Au moment fatidique, une cinquantaine de détenus, hommes et femmes, avaient répondu présent. I, qui a participé aux ateliers avec moi la semaine précédente, a ouvert la scène en lisant son texte. Émouvant ce petit bout de femme, en qui s’agite un talent fou, une force de vie démentielle.
J’ai pris sa suite, enchainé avec mes textes mi-slamés, mi-chantés, accompagné par Rémy au piano. Une écoute sidérante, des yeux accrochés à mes mots, un face à face enchanteur. L’émotion s’élève au-dessus de cet espace froid, la connexion se fait et je la vois dans les regards complices.
Je me sens à ma place, celle de l’artiste-artisan.
À la fin du concert, beaucoup de poignées de main, de remerciements.
« Vous ne nous prenez pas pour des cons, vous nous parlez avec un vocabulaire soutenu »
« C’était magique »
« Je n’aime pas ce genre de musique, mais merci quand même »
Avec le groupe qui a participé aux ateliers d’écriture et d’expression, on ose se prendre dans les bras. On se dit au revoir, on se souhaite bonne chance.
Merci à Mediatone, Camille et toute l’équipe technique d’avoir rendu cela possible. Merci à toutes ces femmes rencontrées, puissent leurs chemins s’éclairer et des jours meilleurs se profiler pour chacune d’elles.
L’art ne sauve pas le monde, il ravive la vie, et c’est une tâche peut-être tout aussi importante.
Gyslain.N